Interview de Pierre Spehl dans Passerelles N°79 MAI/JUIN 2010

La fusion des réseaux n’est pas une idée nouvelle… Quand a-t-elle germé et pourquoi ressurgit-elle aujourd’hui ?

Le financement entièrement public de l’enseignement obligatoire est le seul moyen possible d’assurer sa gratuité totale, condition sine qua non pour que tout enfant bénéficie à l’école des prestations auxquelles il doit avoir accès, quelle que soit son origine sociale, et pour qu’aucun n’en soit privé parce que ses parents n’en ont pas les moyens.

Partant de ce principe, auquel le CEDEP tient tout particulièrement, nous pensons que des Pouvoirs organisateurs démocratiquement élus sont seuls légitimes à organiser l’usage des budgets publics.

La fusion des réseaux n’est effectivement pas une idée nouvelle, mais notre société a bien changé depuis la conclusion, il y a 50 ans, du Pacte scolaire. Il existe aujourd’hui en Communauté française un large consensus sur les valeurs humanistes qui fondent et animent le système éducatif.

Il s’agit non seulement de tout ce qui concerne le respect des Droits de l’homme, mais aussi de ne pas profiter de sa position d’enseignant pour faire du prosélytisme par exemple. Il est à noter que même dans le réseau catholique, il y a aujourd’hui une forme d’organisation qui freine ce genre d’attitude.

Le paysage scolaire belge est complexe. Quelles seraient les avantages d’un enseignement neutre pour tou-te-s ?

L’adhésion volontaire de l’ensemble des écoles aux principes de la neutralité permettrait une clarification du paysage scolaire, une simplification du système, une harmonisation de l’offre d’enseignement et une nouvelle répartition des rôles entre la Communauté française, autorité responsable de l’application du droit à l’éducation et de son financement, et les pouvoirs organisateurs, responsables de l’exécution des missions de leurs écoles.

Il s’agit de substituer à l’organisation actuelle du système éducatif, avec ses procédures administratives pesantes, une structure claire et démocratique, fondée sur la liberté d’exécution, la délégation et le contrôle des résultats, où pouvoirs organisateurs, directions et enseignants, directement impliqués sur le terrain par la réussite de leurs élèves et l’avenir de leur école, auraient la responsabilité de décider et d’agir.

En Communauté française, le niveau des élèves – tous réseaux d’enseignement obligatoire confondus – est anormalement bas. En quoi la fusion des réseaux permettrait-elle de favoriser la réussite ?

Le problème c’est que l’élève doit s’adapter à l’enseignement, à charge pour lui d’assimiler et de réussir les épreuves successives comme il peut. Ce que nous proposons, c’est de réorienter le rôle de l’enseignant pour qu’il suive et soutiennent en permanence l’apprentissage de chaque élève, et remédie efficacement le plus tôt possible aux difficultés qu’il rencontre.

C’est tout-à-fait possible, puisque cela se pratique déjà dans certaines écoles en Belgique et dans d’autres pays. En Finlande par exemple, ils avaient un système comparable au nôtre il y a une vingtaine d’année ; en unifiant les réseaux et en réorganisant en commun la formation des enseignants, ils sont arrivés à le transformer complètement, et ce sont leurs élèves qui obtiennent les meilleurs résultats aux tests internationaux.

Le projet de centre de formation des enseignants pourrait-il servir de tremplin à l’unification du système scolaire ?

Ce centre de formation est le noyau moteur de la transformation et de l’unification du système éducatif que nous proposons.

De niveau universitaire, mais préservant la qualité de la formation pratique de l’enseignement supérieur pédagogique, il rassemblerait les compétences pédagogiques disponibles en Communauté française, et éventuellement des formateurs spécialisés extérieurs. Véritable « brain trust » de l’enseignement obligatoire, il conseillerait les autorités publiques en termes de stratégies de transformation, notamment d’objectifs à atteindre par les élèves et de méthodes pédagogiques à utiliser par les enseignants .

Quel sont les obstacles à l’instauration d’un réseau unique ? Ne risque-t-on pas de voir ressurgir le spectre de la guerre scolaire ?

Notre objectif n’est pas d’imposer, mais de convaincre. Nous voulons convaincre qu’on peut faire beaucoup mieux ensemble, en bénéficiant de l’expertise de tous.

Il s’agit notamment de remplacer l’esprit de compétition et de sélection par un esprit de coopération entre élèves, enseignants, écoles et réseaux, en vue d’atteindre réellement les objectifs éducatifs qu’un service public d’enseignement doit se fixer pour tous les élèves.

 

PASSERELLES_mai-juin 2010_n°79

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